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UN BON SALARIÉ EST UN SALARIÉ HEUREUX

UN BON SALARIÉ EST UN SALARIÉ HEUREUX

UN BON SALARIÉ EST UN SALARIÉ HEUREUX :

OU COMMENT LA TYRANNIE DU BONHEUR AU TRAVAIL ÉCLIPSE LA QUESTION DU TRAVAIL MÊME

DE LA SOUFFRANCE AU BONHEUR AU TRAVAIL

Le vocabulaire de la santé au travail a beaucoup évolué ces dernières années. On a beaucoup parlé de « souffrance au travail », de « stress au travail », de « risques psychosociaux », puis de bien-être, de Qualité de Vie au Travail (QVT) et enfin de bonheur. Celui-ci a fait une entrée magistrale dans l’entreprise où il n’avait jusqu’alors qu’assez peu droit de cité. Nous sommes confrontés, dans le monde du travail comme ailleurs, à des usages du langage qui ne font pas qu’informer, mais qui sont là pour orienter notre manière d’appréhender une réalité. La notion de « bonheur au travail » semble participer aujourd’hui d’un mouvement de plus grande responsabilisation des individus concernant leur expérience de l’entreprise.

Elle va de pair avec l’effondrement général de la dimension sociale au profit de la dimension psychologique.

La promotion du bonheur s’accompagne d’une remise en cause progressive de la logique selon laquelle le vécu de l’activité dépendrait de facteurs sociaux inhérents aux organisations du travail.

LE TRAVAIL, LE GRAND ABSENT DES PETITES RECETTES DU BONHEUR EN ENTREPRISE

Si une attention reste portée aux conditions de travail par les zélateurs du bonheur au travail, elle se limite souvent à quelques propositions que l’on peut qualifier d’artifices ou de gadgets. Les initiatives qui invitent au bonheur se répandent bien au-delà des entreprises innovantes qui les ont initialement promues : espaces de travail design aux couleurs vives, petits déjeuners et afterworks entre collègues, coupelles à disposition de bonbons « Haribo c’est beau la vie », espaces de détentes avec des poufs moelleux.

S’il n’est effectivement pas désagréable de se jeter dans un pouf pour se délasser ou de disputer une partie de baby-foot avec ses collègues, le décor du bonheur au travail ne saurait faire le bonheur.

Malheureusement même l’embauche d’un Chief Happiness Officer (CHO) pourrait ne pas venir à bout « du besoin indécrottable du salarié » de trouver du sens à son activité. La promotion de la joie de vivre en entreprise peut d’ailleurs être très mal vécue par les salariés quand ils éprouvent un décalage entre un discours centré sur le bonheur et des pratiques quotidiennes de management qui font obstacle à leur pouvoir d’agir.

Hélas, nombreuses sont les organisations qui placent au sommet de leurs ambitions déclarées la volonté de faire le bonheur des salariés, qui mettent en place des politiques reprenant les codes d’une « happy culture », mais qui conservent des modes de management délétères. La promotion du bonheur au travail a souvent pour caractéristique étonnante de ne pas agir sur le travail lui-même, mais bien de le cantonner à sa périphérie.

L’injonction au bien-être apparaît comme dangereusement paradoxale dans des contextes où le salarié éprouve du stress au travail, se sent à l’étroit dans des process inopérants, perd son temps dans des réunions où l’apport du PowerPoint présenté est incertain.

Comment véritablement profiter de l’afterwork convivial quand les tâches abandonnées au travail s’accumulent au point de ne plus pouvoir être absorbées ?

Le salarié qui est invité au bonheur, dans un contexte infernal, finit au mieux dans le cynisme et la démotivation, et au pire en arrêt maladie de longue durée.

LE BONHEUR, UN ART DE L’INDIRECT NOURRI DE SENS

Le bonheur, parce qu’on y tient tout de même, va jusqu’à devenir un objectif d’entreprise. Et quand l’objectif n’est pas atteint, on recherche un autre coupable et on le punit.

C’est ce qu’a décidé de faire l’entreprise Orange, en 2018 et 2019, en lançant, peut-être, une nouvelle mode. Dans plusieurs divisions et directions opérationnelles, le baromètre “salarié Orange, votre avis compte” a été utilisé comme indicateur pour le calcul du montant de la part variable des cadres intermédiaires. Le baromètre de l’humeur des salariés n’étant pas au beau fixe, la rémunération des managers a baissé de façon sensible dans un contexte, qu’il nous faut bien sûr oublier, de tensions sur certains marchés, de transformation d’Orange d’opérateur de télécoms en opérateur numérique et autres facteurs négligeables ! Notons que les managers en question n’avaient guère de pouvoir de décision sur la stratégie de l’entreprise, les modalités opérationnelles de l’activité…

L’idéologie du bonheur au travail, suspendue à quelques recettes de psychologie positive, ne doit pas éclipser le pessimisme de la raison qui nous oblige à regarder en face quelques réalités déplaisantes. En 2017, 400 000 personnes souffraient de troubles psychiques liés au travail ; 500 avaient réussi à les faire reconnaître comme maladie professionnelle . Il y aurait environ 30 000 burnouts par an et 3 millions de personnes en situation de risque d’épuisement professionnel.

Vous reprendrez bien une “fraise tagada” avant d’essayer de comprendre !