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QUAND LES NORMES ET LES PROCÉDURES
ASPHYXIENT LE TRAVAIL ET NUISENT À L’EFFICACITÉ

QUAND LES NORMES ET LES PROCÉDURES
ASPHYXIENT LE TRAVAIL ET NUISENT À L’EFFICACITÉ

QUAND LES NORMES ET LES PROCÉDURES ASPHYXIENT LE TRAVAIL ET NUISENT À L’EFFICACITÉ

L’utilisation des normes et des procédures dans le monde du travail a vocation à faciliter le travail des salariés, les guider, en vue d’une part d’obtenir le résultat escompté lors de la mise en œuvre d’un processus, par exemple la conformité d’un produit, d’autre part d’éviter les accidents et les erreurs. Elles prennent souvent la forme de répertoires de règles formelles, de modes opératoires, ou encore de guides de « bonnes pratiques ». Elles peuvent s’avérer très utiles pour les individus et les équipes. S’il est important pour les salariés de disposer de repères pour agir, il apparaît toutefois que dans un certain nombre de situations les normes deviennent un obstacle à la réalisation d’un travail de qualité.

UNE NORMALISATION CROISSANTE AU NOM DE LA QUALITÉ, DE LA CONFORMITÉ ET DE LA PRODUCTIVITÉ QUI PRODUIT DE PLUS EN PLUS DES EFFETS CONTRAIRES

C’est souvent, sous couvert de politiques qualité et donc au nom du « client » que sont introduits dans les organisations de travail des standards de service auquel le salarié doit se conformer dans son activité quotidienne.

Aucun secteur n’y échappe : de l’industrie aux services en passant par la santé et le social. Des procédures sont mises en place, extrêmement détaillées parfois, jusqu’au mot près dans les services : on connaît l’obligation pour les caissièr-e-s qui servent dans certaines enseignes d’utiliser des formules pour ouvrir et clore l’interaction avec le client et faire une proposition commerciale. Chacun a également en tête les scripts des télévendeurs qui nous démarchent par téléphone.

À plus grande échelle, des normes internationales — les ISO — viennent établir l’universalité des démarches. Notre domaine d’activité lui-même, la santé au travail, n’échappe pas à la tendance générale. En mars 2018, était publiée la norme ISO 45001 sur la santé et la sécurité au travail.

LES PREMIÈRES RÉSISTANCES SE FONT JOUR

Dans un avis publié le 29 juin, le Conseil d’Orientation des Conditions de Travail a signifié son désaccord. Il indiquait « le management de la santé au travail fait déjà intervenir des processus prévus par la règlementation (le code du travail) et le dialogue social (CHSCT et CSE) […] ; il comporte une dimension humaine et sociale essentielle, de sorte qu’il se range parmi les activités qui ne se prêtent pas à la normalisation ». Mais ce projet de norme n’est toujours pas abandonné et mobilise l’AFNOR.

LA SNCF : QUAND LES SALARIÉS SE RETROUVENT AUX PRISES AVEC UNE ENCOMBRANTE DÉMARCHE QUALITÉ

L’actualité du travail dans tous les secteurs est aux bonnes pratiques. Qui pourrait s’en offusquer ? Tout simplement, les salariés qui constatent trop souvent au quotidien les effets pervers des procédures lorsque ces dernières agissent dans le déni du réel et deviennent une fin en soi.

Damien Collard1 a analysé, par exemple, une démarche qualité qui a été déployée à la SNCF dans le domaine de la relation de service, le projet Gares en mouvement.

Une standardisation de l’accueil client

Elle incarnait la volonté de la SNCF de mieux prendre en compte les besoins des voyageurs. La démarche qualité a impliqué une contractualisation entre différents acteurs ainsi que la définition de normes de services extrêmement précises que devaient respecter scrupuleusement les unités opérationnelles : normes vestimentaires, scripts langagiers, postures relationnelles…

Une normalisation « punitive » pour les salariés et les prestataires

Les agents ont rapidement observé que certaines attitudes étaient inappropriées dans de nombreuses situations, voire contre-productives. Pourtant ces normes ont dû être appliquées, car d’importants enjeux y étaient associés. La direction de la SNCF entendait rémunérer les directions d’activité en fonction du degré de mise en conformité des gares. Quant aux directions d’activité, elles s’étaient engagées à honorer leurs « promesses » et les responsables opérationnels se devaient de faire respecter ces normes. Les opérationnels quant à eux y jouaient en partie leur évaluation. Les mesures régulières réalisées par les enquêteurs clients mystère permettaient de calculer un indice de conformité des comportements des agents d’escale aux « attitudes de service » et d’attribuer à chaque gare une note.

Quand le respect de la norme à tout prix produit de l’absurde

Et voilà nos agents au milieu de situations perturbées (grèves, retards de train) contraints de donner du bonjour Monsieur ou Madame à des personnes pressées désireuses d’avoir des informations au plus vite. Les agents, en pratique, doivent répondre simultanément à plusieurs demandes et être capables de « se défaire » des clients les plus vindicatifs pour ne pas s’engager « dans un dialogue de sourds» alors que de nombreux usagers sont en attente. Mais la démarche qualité les somme de saluer le client, d’être aimables et souriants tout au long du dialogue, d’être disponibles, de prendre le client en considération et de prendre poliment congé. Très éprouvante alors est l’obligation de se conformer aux règles de politesse pour un agent d’escale lorsque l’usager promu « client roi » le traite comme un poteau indicateur. L’agent d’escale peut aussi éprouver un certain plaisir à traiter avec familiarité un voyageur habitué des lignes et être meurtri par la nécessité de soumettre la relation à des normes de communication qui ne reconnaissent pas la nature du lien social créé par la récurrence de la rencontre. Notons également que ces agents ont parfois un rôle de sécurité à jouer pour éviter qu’un usager trop pris par sa conversation téléphonique ne se fasse happer par un train et que cela aussi peut contrarier le processus communicationnel !

Bref, cet exemple très simple montre combien la couche de gestion ajoutée à l’activité à travers les normes de service peut accroître la pénibilité du travail au lieu de le faciliter. Les normes deviennent alors un fardeau empêchant de réaliser un travail de qualité, vivant, adapté aux contextes toujours nouveaux que fait surgir le réel. Les organisations du travail fourmillent aujourd’hui de situations où les normes ne sont plus de simples points d’appui, mais des leviers de normalisation des comportements souvent inadaptés à l’activité et donc susceptibles d’accroître les risques psychosociaux.

UNE CRITIQUE SALUTAIRE POUR DESSERRER L’ÉTAU DE CERTAINES NORMES

Lors des expertises que nous réalisons à la demande des CHSCT ou des CSE, nous constatons l’amertume des salariés dont l’évaluation de l’activité est réduite à la mesure de leur conformité à une norme ou à une performance corrélée à un indicateur phare. Chacun devine que le meilleur médecin n’est pas nécessairement celui qui enregistre le plus grand nombre de consultations, ou bien celui qui enregistre la durée moyenne de consultation la plus courte.

Pour autant, les dispositifs d’évaluation sont parfois oublieux de ce que chacun sait en son for intérieur. L’appareil gestionnaire peut être une forme de rappel très puissant pour les salariés qui les invite à soigner davantage l’évaluation que le travail, au péril parfois du service rendu. Le but de l’expertise est alors de redonner vie aux contextes de travail et de permettre aux organisations de prendre du recul par rapport à des normes rigides ou des indicateurs quantitatifs devenus tout puissants. Montrer les limites des normes et des indicateurs en place quand ils sont devenus délétères, plaider pour des modes d’évaluation alternatifs, impulser des dynamiques d’apprentissage organisationnel sont autant de pistes que nous explorons avec nos mandants.

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